En janvier 2014, l’académie de Paris a publié un appel à candidature auprès d’universités parisiennes pour la réalisation d’une enquête approfondie sur la formation continue des enseignants du premier degré. Une réponse a été apportée par l’Université Paris Descartes engageant plusieurs enseignants-chercheurs en sciences de l’éducation des laboratoires EDA (Éducation, Discours, Apprentissages) et Cerlis (Centre de recherches sur le lien social).
Ont activement participé à cette enquête :
Anne Barrère, Professeure à l’Université Paris Descartes, Laboratoire Cerlis ;
Sylvain Broccolichi, Professeur à l’Université de Lille Nord de France, Laboratoire RECIFES ;
Emilie Corrège, Doctorante à l’Université Paris Descartes, Laboratoire EDA ;
Christophe Joigneaux, Maître de conférences à l’Université Paris Est Créteil, Laboratoire CIRCEFT ;
Eric Roditi, responsable du projet, Professeur à l’Université Paris Descartes, Laboratoire EDA.
L’enquête a été effectuée avec une double approche de la question : quantitative d’une part, reposant sur un questionnaire auprès des enseignants parisiens du premier degré, et qualitative d’autre part, fondée sur des entretiens réalisés principalement avec des enseignants, des formateurs et des inspecteurs. L’enquête par questionnaire a été réalisée en 2014-2015, plus de 600 enseignants ont répondu. Les entretiens ont été menés en 2016 auprès de 12 enseignants et 3 inspecteurs.
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Nos conclusions :
Notre étude a porté principalement sur les expériences, les (in)satisfactions et les attentes concernant la formation continue du premier degré dans l’académie de Paris, à partir d’une enquête par questionnaire et par entretiens. C’est toutefois aussi à la lumière d’autres travaux que nous analysons les principaux constats qui s’en dégagent, en ayant bien conscience du poids des orientations nationales sur les réalités locales. Surtout depuis une douzaine d’années en effet, maintes enquêtes et évaluations signalent les difficultés croissantes d’une école française où l’inflation de nouvelles prescriptions ne cesse de complexifier et d’alourdir le travail enseignant, tandis que les investissements en formation continue ont fortement décru. On comprend ainsi conjointement les déplorations des plus anciens et la frustration des moins dotés de points d’ancienneté pour qui l’accès aux formations du PAF est le plus rationné. On comprend aussi que la volonté de s’auto-former par d’autres canaux se heurte de plus en plus au manque de temps disponible.
Les raisons s’avèrent donc nombreuses pour que l’insatisfaction domine, dans un contexte où les besoins de formation n’ont jamais été aussi grands alors que l’offre institutionnelle a été restreinte et qu’une partie des heures de formation en circonscription sert à expliciter les nouvelles prescriptions. Des formations organisées récemment dans l’académie de Paris sont néanmoins saluées par ceux qui y ont participé. Cerner leurs propriétés et les bénéfices qui en sont retirés nous aidera ensuite à aborder la délicate question des moyens d’identifier les besoins de formation des enseignants en vue d’y répondre.
1. Ce qui caractérise les formations appréciées
En première approche, nous avons noté deux caractéristiques de la plupart des formations appréciées par les enseignants et les formateurs. D’abord, elles étaient en phase avec les situations et/ou les projets des participants (directeurs d’école, enseignants en CP ou en REP+, préparation du CAPEI, etc.) ; ensuite, elles étaient assurées par des formateurs qui maîtrisaient les dimensions théoriques et pratiques des questions traitées, et se trouvaient en mesure de conjuguer trois démarches : la prise en compte d’expériences et questions des participants, un apport de connaissances et d’outils d’analyses ajustés en conséquence, un retour et des échanges constructifs sur les pratiques expérimentées. En résultaient alors de réels gains de compréhension, d’aisance ou d’efficience pratique.
Ce tableau est comme l’envers de ce qui était souvent déploré à propos de formations ponctuelles où « l’un arrive avec ses réponses et où l’autre repart avec ses questions », faute de temps d’échange et d’élaboration (ou parce qu’il y a trop de participants). Ces formations sont vécues comme inutiles voire décourageantes quand les formateurs « veulent dire trop de choses en peu de temps » et que les participants en retirent surtout « l’impression d’être dépassés » par tout ce qu’il faudrait faire.
Outre le cas où elles visent une qualification précise (direction d’école, enseignement spécialisé, etc.), les formations les plus porteuses de bénéfices s’avèrent être celles qui prennent en compte de manière effective la complexité du travail enseignant, en se souciant à la fois des connaissances requises (institutionnelles, scientifiques, disciplinaires, didactiques, pédagogiques ou éducatives), des outils pour la classe (progressions pédagogiques, instruments technologiques, etc.) et des pratiques viables dans des conditions données. Le pouvoir de comprendre et d’agir des enseignants ne se trouve en effet réellement amplifié que si des stratégies de formation permettent d’intégrer les diverses ressources et contraintes avec lesquelles ils doivent composer, en évitant le double d’écueil des « recettes » et du (trop exclusivement) « théorique ». Il semble donc essentiel de prendre en compte cette complexité en vue d’identifier les besoins de formation et d’ajuster l’offre en conséquence.
2. Ajuster les formations aux besoins : les deux logiques à concilier
Identifier les besoins de formation ne va pas de soi car ils sont à dégager d’un large ensemble de connaissances relatives aux transformations en cours, aux évaluations réalisées et aux difficultés ou demandes exprimées par les enseignants eux-mêmes. Comme le souligne le rapport Filâtre à propos de la formation initiale, il y a donc à concilier une logique centrée sur les prescriptions et les savoirs formalisés, et une logique attentive aux préoccupations des enseignants, en particulier aux dilemmes qu’ils ont à résoudre en situation dans leur contexte de travail (localement variable).
Ces deux logiques sont absolument complémentaires car les prescriptions et connaissances à destination des enseignants ne sont effectivement intégrées qu’à l’issue d’un travail permettant à ces derniers d’en saisir l’intérêt puis de les opérationnaliser. Les éléments recueillis nous ont permis de remarquer à quel point les efforts réalisés en ce sens sont appréciés, mais aussi à quel point certaines prescriptions tendent à être jugées irréalistes ou à rester « ignorées » quand le manque de temps et d’accompagnement prévus ne permet pas à la formation des enseignants de se situer dans leur « zone proximale de développement professionnel ». Il s’agit d’une demande particulièrement récurrente : mieux conjuguer des temps de présentation des connaissances (listées plus haut) et des moments d’opérationnalisation dans les classes. C’est à cette condition que les logiques prescriptives et celles qui sous-tendent les pratiques enseignantes cessent d’être perçues comme antagonistes.
Cette condition est malheureusement coûteuse en temps alors que les ressources sont limitées. Il y a donc à chercher des compromis et des modes d’arbitrage tenant compte des principaux besoins repérés, en s’appuyant sur le cadre et les possibilités d’échange qu’offre le conseil de formation.